Définition et enjeux

Construction et herméneutique d'une économie de la puissance humaine

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La conscience de classe petite-bourgeoise

Quand le rapport de force devient trop évident, le petit bourgeois justifie les choses telles qu'elles sont pour éviter le sentiment de culpabilité (et pour ce faire multiplie les δοξα). Il affirme alors que les pauvres méritent leur sort, qu'ils sont responsables de leur sort. Il les qualifie alors de paresseux, de désorganisés, de fantaisistes – les Irlandais ont eu cette réputation avant les Africains et après les Belges. La δοξα ultime, l'écran de fumée le plus efficace à la schizophrénie sociale, à l'inconfort du fait d'être complice d'un système qui amène confort et humiliation, c'est l'essentialisation. L'essentialisation, c'est le fait de séparer l'humanité en catégories étanches, irréductiblement distinctes et dotées de propriétés éternelles spécifiques. L'exemple le plus parlant d'essentialisation, c'est le racisme mais ce n'est pas le seul. Face à une représentation doxique, raciste, les faits ne comptent pas. Peu importe que les Rroms voisins n'aient jamais volé quoi que ce soit, ils demeurent à jamais suspects. Comme le dit l'adage, si ce n'est toi, c'est donc ton frère. La suspicion construit le regard et le regard construit souvent les comportements dans un mouvement de prophétie auto-réalisatrice. Ces écrans de fumée permettent de conserver le statu quo ante.



Pourtant, paradoxalement, comme nous l'avons démontré, le petit bourgeois n'a pas nécessairement intérêt à conserver ce statu quo. On pourrait d'ailleurs décrire le champ politique comme une lutte autour de ce statu quo, comme une lutte pour emmener la conscience de la classe de la petite bourgeoise (ce qu'en termes marxiens on appellera la classe pour soi). Soit la petite bourgeoisie demeure la classe en soi mais n'accouche d'aucune conscience, d'aucune perspective en tant que sujet politique, en tant qu'objet et que sujet de la violence sociale et ne devient pas cette classe pour soi, soit elle parvient à prendre conscience de l'exil de son faire, de l'exil de sa consommation et de la prolétarisation, des mauvais traitements dont elle est effectivement victime en tant que producteur. Cette tension de la petite bourgeoisie est l'enjeu de la guerre civile de classe en cours. De l'issue de cette guerre civile dépend le devenir de la violence sociale, de la stratification sociale et du travail concret en général23.



Le petit bourgeois méconnaît le travail concret de production du tiers monde. Il méconnaît son caractère méritoire, pénible, ardu, adroit, fastidieux, répétitif ou dangereux dans la fiction du prix, de l'achat, de la marque. Cette méconnaissance de la genèse des choses touche les matières premières et les conditions de vie des producteurs qui entretiennent le niveau de vie petit-bourgeois. Le petit-bourgeois attribue alors aux prolétaires des caractéristiques étranges, pittoresques pour en aliéner l'humanité. En cas de guerre, il leur attribue des crimes atroces. Les prolétaires sont sexualisés, renvoyés à un état de nature pré-humain, leur nature humaine leur est déniée24. Jamais ils ne sont présentés comme les damnés de la terre, comme ceux qui sont susceptibles de retourner la violence sociale à leur avantage. Le sel vient de leur labeur, pas de leur nature.

Proposition 68
L'impuissance socio-économique déréalise la vision du monde.
Proposition 69
La déréalisation de la vision du monde construit des pseudo-catégories d'essences sans substance.

Les consommateurs sont entourés de choses dont ils ignorent la genèse. Ces choses n'ont pas été fabriquées par un homo faber en construction de lui, en rencontre de l'autre, en projet mais par des ouvriers dépossédés des richesses qu'ils produisent, de l'accès aux outils de production et des savoirs liés à la production. Les consommateurs ne perçoivent pas les marchandises sous le mode du rapport de production qui les a générées mais sous le mode affectif du lien au sens, de commodité entre deux mondes isolés. Le consommateur ne fait pas le lien entre le prix de la marchandise qui lui donne accès à son train de vie et les conditions d'esclavage dans lesquelles elle est réalisée. L'abondance de choses dont le procès de production demeure opaque construit un monde que le consommateur domine naturellement puisque les choses sont là qui servent tous ses desiderata. Ce rapport aux choses affecte le psychisme, il n'y a plus de sujet en tant qu'autre. Les choses perdent de leur consistance, de leur prix humain, de leur valeur d'usage. Les choses comme réalité d'échange quantifiable, comme mystique marchande déterminent la vie du consommateur : les stratégies matrimoniales empruntes de considérations patrimoniales, les alliances familiales, les combats financiers, les inimitiés de la vie sociale elles-mêmes sont marquées par le souci de maintenir, de développer et de transmettre le patrimoine – c'est-à-dire la capacité à distraire des choses, à être étranger à leur prix en terme de force de travail, à leur réalisation en terme de travail concret. Ce qui témoigne des pères, le patrimonium se réduit – dans les lois puis dans les faits – à une série de biens en propriété susceptibles d'être convertis en d'autres biens ou de rémunérer l'héritier pour ce faire.