Définition et enjeux

Construction et herméneutique d'une économie de la puissance humaine

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La consommation de l'individu

Les identités utopiques de substitution se confrontent et se fondent dans la vie sociale. Rien n'est partagé, rien n'est singulier, rien n'est commun. Ce qui s'échange, ce sont des signes semblables ou non d'appartenance idéologique, sociale ou économique, ce sont des signes d'appartenance à des identités-masse13. Par l'acte de consommation – acte qui se substitue à tout acte, à tout rapport de modification de la nature, à toute incarnation de la volonté – les consommateurs se livrent une bataille symbolique. Il ne s'agit plus de détenir une quelconque richesse – ce qui compromettrait l'angoisse et l'aiguillon de la nécessité, la peur de la misère, du déclassement et de la marginalité, à la base de la soumission au système productif – mais d'en exhiber le symbole. Cette exhibition s'organise selon les principes du culte du cargo. Les Aborigènes voyant les riches colons mettre sur place tout une série de signes (panneaux, feu, bites d'amarrage, etc.) pour attirer les navires les voyaient comblés de richesses : après avoir attiré la grâce du dieu cargo, les colons profitaient d'une abondance inouïe. Logiquement, les Aborigènes ont procédé de la même façon : ils ont mis en place les signes qui attiraient le dieu-cargo en espérant en recueillir les fruits.

L'ostentation consommatoire fonctionne de la même façon : en exhibant les signes du bonheur, de la prospérité ou de l'harmonie, les consommateurs espèrent attirer à eux le cargo lui-même du bonheur, de la prospérité ou de l'harmonie. Mais contrairement aux Aborigènes qui trouvaient dans le culte du cargo un mode de sens commun et de socialisation, les consommateurs s'isolent par ce système de signes, ils se désocialisent en arborant l'image d'une socialisation harmonieuse puisque, nous l'avons dit, l'identité-masse apparaît au moment où disparaît l'identité-volonté, l'identité-acte. Les tribus urbaines régulièrement créées par les sociologues en mal de paradigmes correspondent elles aussi à des identités clé en main. Ce qui lie l'achat des consommateurs, le vote des électeurs, l'allégeance des fascistes ou l'identification à des marques, à des athlètes ou à des positions gouvernementales, c'est l'absence d'acte et le caractère substantialiste de l'identité. La déréalisation de l'identité était déjà en germe dans les sociétés, dans les asociétés de l'ancien régime. Les empereurs romains ont joué sur l'identité impériale, les napoléoniens ont été subjugués par la grandeur d'un homme, etc. Mais à travers toutes les phases de l'histoire, à travers le fascisme-même, il y a des humains qui jouent aux cartes, bavardent, se laissent croire qu'ils sont fort occupés à perdre du temps ensemble – c'est-à-dire à déguster la substantifique moelle du temps, à s'en pourlécher avec gourmandise. En ce sens, tout projet de déréalisation de l'être ensemble a ses limites et ne peut triompher qu'en apparence, un temps. Et encore ! Cette déréalisation triomphale nécessite un effort constant, incessant pour éviter que ne resurgissent l'être-là et l'être ensemble, pour éviter que ne resurgissent la volonté, le désir et le social. Le refoulement du subjectif demande un effort permanent, il demande des dispositifs de gouvernement, des principes, des prêtres et leurs inévitables policiers.

Ce qui est spécifique à notre époque, c'est l'ubiquité sociale de la petite bourgeoisie, c'est la pulsion à désincarner la volonté dans l'appartenance sociale, à remplacer la puissance par le pouvoir. Nous le verrons, cette situation est historique et les éléments qui la génèrent peuvent disparaître ou évoluer, elle n'est pas liée à la nature humaine. Par contre, la violence sociale survit dans son principe mais non dans ses modalités au changement de régime. Cela interroge sur le type de violence sociale qui accompagnerait une nouvelle organisation de l’économie, de la violence sociale.