Définition et enjeux

Construction et herméneutique d'une économie de la puissance humaine

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La création monétaire

La création monétaire a la réputation d'être nécessairement inflationniste. Pourtant, il nous suffira d'évoquer deux contre-exemples à cette assertion pour en invalider le caractère universel. Le Greenback dans les années 1860, jusqu'à l'assassinat de Lincoln a été imprimé aux États-Unis sans aucune contre-valeur. Selon Ellen Brown4, cette monnaie imprimée par l'État n'a généré aucune inflation (jusqu'à la guerre de Sécessionqui a connu une inflation normale dans le cadre d'un conflit de cette nature : la guerre est inflationniste, comme nous l'avons vu). La création monétaire épongeait les dettes de l'État (ce qui lui permettait d'entreprendre d'ambitieux projets et, par ailleurs, elle finançait l'embauche des chômeurs à des travaux utiles). Cette politique a eu un soutien populaire constant, elle n'a, répétons-le, provoqué aucune inflation (hors conflit). C'est pourtant l'argument de l'inflation qui été avancé à l'époque par les 'silveries', par les tenants de l'argent gagé sur les réserves du précieux métal pour mettre fin à cette expérience.



Notre approche théorique de la réalisation de la valeur ajoutée explique facilement cette absence d'inflation : comme l'argent créé à partir de rien a été dévolu exclusivement aux salaires, cet argent créé sous la forme de salaire a été intégralement dépensé. Les dépenses ont permis à la production industrielle de s'écouler, elles ont permis au capital produit de se réaliser, laissant un souvenir de prospérité générale.



Par contre, si on prend l'exemple de l'Assignat, en France, il était imprimé en étant gagé sur les biens nationalisés de l'église. Il s'agissait de propriétés terriennes, de bâtiments, d'atelier ou d'ouvrage d'art dont la valeur ne souffre aucune discussion. L'Assignat était gagé sur des biens plus solides que l'or ou l'argent sujets à variations de cours, il était gagé sur une bonne partie des terres arables de France. Ces Assignats (1789-1797, en France) souffriront d'une inflation élevée tout au long de leur courte vie. Ils auront servi exclusivement à payer les créanciers de la jeune République, les rentiers, le capital et, une fois dépensés à cet effet, leur valeur faciale a été retirée de la circulation économique vu le faible taux de réalisation de ce type de capital surtout à sur une échelle de temps si courte. La valeur économique produite baisse alors puisque, globalement, la valeur antérieure se réalise peu, alors que la demande demeure constante. Il y a donc une rupture de l'offre et une inflation. Le grand nombre d'Assignats imprimés très rapidement a en effet massivement été thésaurisé et n'a que peu servi à la population, aux salaires et, par manque d'effet de rebond de la demande, à l'économie concrète.



Ces deux exemples prouvent que l'inflation n'est pas nécessairement induite par la création monétaire. De même, si l'on a coutume de voir la création monétaire comme la cause de l'hyperinflation des prix dans l'Allemagne des années 20, on peut aussi la voir comme conséquence de cette inflation. C'est la dette en monnaie étrangère qui paralyse la production économique et c'est la paralysie de la production économique qui crée une inflation des prix face à une demande inchangée.


On pourra rétorquer que le système économique libéral actuel crée peu d'inflation des prix en Europe, par exemple, alors que les salaires y sont malmenés depuis quarante ans et que la partie susceptible de ne pas être réalisée de la valeur ajoutée, la rémunération du capital, est en augmentation. C'est faire l'impasse sur deux éléments. D'une part, l'inflation salariale est bel et bien à l’œuvre en Europe pour la plupart des travailleurs. Les salaires ont baissé en termes réels – ce qui est notre définition de l'inflation salariale, seule problématique pour nous. D'autre part, certains facteurs sont éliminés du « panier de la ménagère » qui sert à mesurer l'inflation : si les loyers ont fortement augmenté, la valorisation des propriétés immobilières a, elle, explosé. Ce phénomène menace particulièrement les classes moyennes tant en France qu'en Grande-Bretagne ou aux États-Unis. Il s'agit d'un phénomène d'inflation salariale (et même d'inflation des prix) aussi discret que nuisible. En Espagne, la classe moyenne est chassée de ses logements ; ses enfants restent chez leurs parents au-delà de leur quarantième printemps et les logements vides pourrissent, vides, hors de prix.

L'inflation salariale sous la forme de flambée de l'immobilier atteste la faible productivité du capital industriel, c'est un placement de dépit. L'investisseur a un meilleur retour sur investissement en achetant de la pierre qu'en achetant une partie d'usine. Le taux de profit de l'usine est devenu trop faible. La flambée des prix immobilier atteste aussi la force monétaire des créanciers, des accumulateurs de capital qui, crédit faisant, trouvent le moyen de ponctionner davantage l'économie productive dans des circuits bancaires. Les classes moyennes et les classes populaires sous emprunt hypothécaire sont les nouveaux empires coloniaux que se sont trouvés les excédents ε d'une classe capitaliste en mal de débouchés.

Comme le crédit n'est pas un don, sa pratique ne fait que retarder et aggraver des crises inéluctables : la différence entre la valeur ajoutée produite et la valeur ajoutée réalisée ne trouve plus de marché extérieur pour écouler le manque de demande. L'accumulation correspond à la partie de la valeur qui n'est pas dépensée. Cette partie manque à la réalisation de la valeur ajoutée extérieure. C'est précisément ce manque, cette épargne (ε) dont nous avons parlé au premier chapitre qui doit trouver des marchés extérieurs (à hauteur de ε) pour combler le déficit de valeur ajoutée (de ε) dans les cycles suivants.

Note 14. Lutte de classe, définition et distribution de la valeur économique

L'augmentation des salaires en général et l'indexation en particulier augmentent la part relative des salaires dans le PIB, ce qui, du point de vue économique, contribue à sa stabilisation puisque, nous l'avons vu, les salaires sont réalisés, mais, du point de vue politique, la lutte des salaires contre les profits apparaît comme un des aspects de la lutte des classes.



Ce n'est pas le seul puisque la définition de la valeur économique intervient aussi bien que sa distribution dans les tensions entre les classes. Les propriétaires veulent avoir l'exclusivité de la définition de la valeur économique – par la logique de l'emploi ou par la privation de ressources utiles à la survie, notamment – alors que les travailleurs ont intérêt, en tant que classe, à libérer leur travail concret du joug de l'employeur, de l'actionnaire, du propriétaire.



La lutte de classe oppose donc des définitions de la valeur économique et de la répartition de cette valeur. Les travailleurs sont payés en salaires, les propriétaires sont payés en rente, en dividendes. Si la valeur ajoutée produite à l'occasion du travail abstrait est consacrée à la rente, elle n'est pas consacrée aux salaires et vice versa. De même, si la valeur économique est définie sans référence à l'emploi, les propriétaires perdent l'exclusive de la définition de la valeur économique ; si, au contraire, les propriétaires demeurent les seuls à définir la valeur économique dans l'emploi, il n'y a pas de place pour d'autres définitions de cette valeur. Ceci explique pourquoi les grands actionnaires luttent contre l'index et pour l'exclusivité de l'emploi comme mode de définition de la valeur économique – ils se positionnent systématiquement contre le statu hors emploi des fonctionnaires, ils stigmatisent les sans emploi, les chômeurs, les retraités ou les invalides, c'est-à-dire tous les salariés hors emploi qui produisent de la valeur ajoutée sans employeur, sans actionnaire. Par contre, la faiblesse de la réponse syndicale laisse supposer que ces syndicats ne défendent pas correctement les intérêts de la classe des travailleurs. Sans doute ont-ils quelque obscure intérêt à tenir une position ambivalente.