Définition et enjeux

Construction et herméneutique d'une économie de la puissance humaine

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La dette en monnaies étrangères

À la fin des années 1920, l'Allemagne avait contractée des dettes de guerre impayables. Ces dettes étaient libellées en monnaie étrangère. Une dette en devise nationale peut être facilement épongée par l'inflation des prix ou, plus simplement encore, par ce qu'on appelle la monétisation. La monétisation, c'est le fait de créer de la monnaie – que ce soit de la monnaie papier ou de la monnaie électronique, peu importe – et de rembourser la dette au moyen de cette monnaie créée.

Quand nous parlons d'inflation ici, nous réfléchissons ici à la seule augmentation des prix, qu'elle soit accompagnée d'inflation salariale ou non. Nous l'avons dit, ce type d'inflation, appelons-la l'inflation des prix, ne pose pas de problème dans la mesure où elle ne s'accompagne pas d'inflation salariale. Les prix augmentent, les salaires augmentent, les loyers augmentent, tout augmente, ce qui diminue le poids de la rente sauf à avoir une explosion des taux d'intérêt. L'inflation diminue mécaniquement le poids de la dette parce que, comme les revenus augmentent, comme les prix augmentent, le pouvoir d'achat d'une somme épargnée, d'un capital baisse sauf si les taux d'intérêt sont très élevés. L'investisseur, le capitaliste perd de l'argent avec l'augmentation des prix, avec l'inflation économique.

Note 12. L'inflation fait fondre la dette

Par rapport à la dette, imaginons que la France ait une dette de 150 % de son PIB avec un taux d'intérêt de 5 %. Si l'inflation économique ne va pas de pair avec une inflation salariale, si cette inflation atteint par exemple 20 % par an, l'ensemble des salaires va augmenter d'autant et, avec eux, le PIB de l'année suivante. Si le PIB vaut 100 milliards, par exemple, la dette va passer de 150 à 157,5 milliards pendant que le PIB passe de 100 à 120 milliards. L'année suivante, le PIB passe de 120 à 144 milliards et la dette de 157,5,5 à 165 milliards.



En cinq ans, sans rien faire, sans débourser le moindre centime ni pour l'intérêt ni pour le principal, sans imprimer le moindre billet, le PIB aura presque atteint 250 milliards alors que la dette sera à 191 milliards, une proportion beaucoup plus supportable (la dette représente alors 76% du nouveau PIB). En dix ans, le PIB atteint 619 milliards et la dette 244 milliards, la dette s'élève alors à 39 % du PIB : la dette a disparu en tant que problème budgétaire sans que personne n'ait payé un centime, ni en principal, ni en intérêt.



Si ce scénario vous semble étrange, rappelez-vous que c'est exactement celui qui a été mis en place à la fin des années 1940 en France à un moment où les salaires augmentaient en termes réels, à une période où il n'y avait pas d'inflation salariale, où l'inflation des prix était forte. La gigantesque dette publique à la Libération s'est évaporée de la sorte, sans aucun effort. Par contre, cette option qui préserve les salaires et l'activité économique a le tort de diminuer la valeur réelle de l'épargne, des avoirs capitalistes. Les intérêts des détenteurs de capital s'opposent à l'inflation des prix. Les capitalistes prônent une politique monétariste, une politique de préservation de la valeur de l'argent, au détriment de la valeur des salaires et de l'activité économique. C'est le choix du « consensus de Washington » imposé aussi bien en Europe que dans le tiers-monde par le truchement de mécanisme de crédit internationaux. L’inflation des prix au Venezuela est un cas particulier : l’inflation des prix touche les salaires tant elle est élevée mais les classes propriétaires protègent leurs avoirs en les plaçant à l’étranger, en devises étrangères. Paradoxalement, dans cette situation, la combinaison d’un hyper-endettement en devise nationale et d’une hyper-inflation des prix et sans inflation salariale pourrait être la solution à la dévitalisation économique subie par le pays. Ce serait une manière élégante de réaliser les avoirs des propriétaires et de les convertir en salaires.


Proposition 20
L'inflation des prix diminue mécaniquement les dettes.
Proposition 21
L'inflation des prix ne crée pas nécessairement d'inflation salariale.
Proposition 22
La dette dans une devise qui empêche la monétisation et l'inflation des prix définit une fonction exponentielle – elle est de toute façon impayable à terme.


Par ailleurs, comme la banque nationale imprime les billets (ou crédite les comptes des banques privées), il lui est facile d'imprimer de l’argent ou de créditer les comptes comme elle veut. Elle peut alors facilement imprimer le montant de la dette en espèce ou en bits ou sous quelque forme que ce soit. Les créanciers se paient et les pouvoirs publics sont alors libérés de tout taux d'intérêt. Si la monétisation n'a pas les faveurs des économistes vulgaires, il faut tout de même lui reconnaître un mérite : elle sabote le processus de concentration capitalistique ce qui augmente la part relative des salaires dans le PIB – facteur qui augmente le PIB réel, nous l'avons vu et stimule le tissu économique.

Par contre, quand la dette est détenue en devises étrangères ou dans une monnaie locale sanctuarisée, telle l’euro, ni l'inflation économique intérieure, ni la monétisation de la dette par la banque nationale ne sont possibles. Quand les leviers de l'inflation et de la monétisation sont en panne, il y a alors nécessairement une crise de la dette. Le pays endetté va devoir détourner une partie de la valeur ajoutée produite annuellement pour payer ses créanciers et les intérêts. L'offre de biens et de services en valeur ajoutée est alors mobilisée pour rembourser une dette impossible à rembourser. Il y a rupture entre une demande inchangée et une offre intérieure anémiée – c'est l'inflation salariale. Les créanciers sont servis avant les salariés. Dans cette situation, celle de l'Allemagne de la fin des années 20, les entreprises convertissent leurs avoirs en devises étrangères ce qui renforce le phénomène d'augmentation des prix via la dépréciation de la monnaie nationale. Au niveau national, la production économique s'oriente donc vers l'extérieur pour trouver une demande solvable. Le pays ruiné devient un atelier au rabais pour les pays créanciers, ce qui correspond à l’effarant projet économique de la troïka pour la Grèce, l’Espagne ou la France, par exemple.

Il nous faut bien insister sur trois points par rapport à cette notion d'inflation salariale liée à une dette en devise étrangère ou en monnaie sanctuarisée.

D'abord, nous rappelons que l'inflation salariale induit une crise de surproduction puisque les salariés ne peuvent plus acheter les productions de biens et de services – ce qui induit une cessation des activités industrielles, un chômage de masse et un effondrement de la production.

Ensuite, une déflation économique peut cacher une inflation salariale – comme en Espagne ou en Grèce pour le moment. Les prix stagnent – ils peuvent même baisser, il s'agit alors d'une déflation des prix – mais les salaires baissent davantage. L'inflation salariale correspond à une baisse des salaires réels, à une baisse de la valeur économique des salaires. Comme les salariés forment l'essentiel de la demande de biens et de services à prix, la baisse de la valeur économique de leurs salaires contracte la demande intérieure en terme de valeur économique. En termes réels, les salaires baissent malgré la baisse des prix, ce qui correspond également à une inflation salariale, problématique de notre point de vue.

Enfin, la notion de dette en devises étrangères doit être affinée. Nous avons écrit que la dette pouvait se monétiser ou être annulée par une inflation économique sans inflation salariale. Une devise nationale peut, pour des raisons politiques, avoir les mêmes propriétés qu'une devise étrangère : si la banque centrale est indépendante, comme la BCE, par exemple, si la marge politique du gouvernement ne lui permet pas de mener une politique d'inflation des prix, d'augmenter les salaires et les investissements en les finançant par la monétisation, il est alors clair que la devise dite nationale comme l'euro en Grèce, en Espagne ou en France pour le moment, a toutes les propriétés d'une devise étrangère quant à la dette de ces pays.

Nous constatons que tant dans le cas de la guerre que dans celui de la dette en monnaies étrangères, l'inflation est liée à une destruction de valeur économique et non pas à des dépenses ni à de la création monétaire.

Pour venir à bout de ces dettes, il suffit de réintroduire les marges de manœuvre d'une monnaie nationale : monétisation des investissements (on imprime de l'argent qui finance des outils de production, des infrastructures), des augmentations de salaires et des remboursements de dette. Faute de mettre en place ces politiques, les défauts successifs, partiels, sur la dette deviennent inévitables et, un beau jour, vu le caractère de pyramide de Ponzi de la dette à intérêt sans inflation et sans monétisation, à une banqueroute en bonne et due forme.

Note 13. L'hyperinflation en République de Weimar

De 1921 à 1924, la République de Weimar, l'actuelle Allemagne, est en proie à une hyperinflation.



Précisons d'emblée que cette inflation n'a pas porté Hitler au pouvoir puisqu'il a accédé à la magistrature suprême en 1933 seulement, près de dix ans après les faits. Par contre, les politiques monétaristes mises en œuvre en réaction à l'hyperinflation ont généré un chômage de masse qui, lui, a favorisé la montée des partis les plus autoritaires.



Au moment de l'hyperinflation, les ouvriers exigeaient d'être payés deux fois par jour tant la valeur de l'argent diminuait rapidement. En suivant la chronologie donnée par Wikipédia, nous pouvons reconstituer les causes et les conséquences de l'inflation à ce moment-là.



Acte I. Les dettes des Allemands en monnaie étrangères atteignent 132 milliards de marks-or pour un PIB de 3 milliards de marks-or. Jusqu'en 1922, cependant, malgré cet endettement, l'économie allemande est forte, il y a un plein emploi et des salaires en augmentation.



Acte II. Après la première guerre mondiale, l'appareil productif est détruit, la production réelle chute. Le pays emprunte sur les marchés internationaux. Les salaires sont indexés. L'hyperinflation ne signifie pas inflation salariale.



Acte III. La vitesse de circulation de la monnaie augmente, ce qui génère de l'inflation économique. Les entreprises convertisent leurs avoirs en devises, en titres étrangers, ce qui diminue la demande de marks et en baisse le prix.



Acte IV. Le docteur Schacht intervient. Il va mener une politique de stabilisation du cours de la monnaie et des prix. C'est ce qu'on appelle une politique monétariste. Cette politique va arrêter l'inflation des prix, provoquer un chômage de masse et une … inflation salariale. Il cesse d'émettre des billets de banque – il diminue la quantité de monnaie en circulation. Il diminue le volume des moyens officiels de paiement et gèle le crédit. De ce fait, la spéculation est bloquée : les spéculateurs se retrouvent avec une monnaie sans valeur. Par ailleurs, Schacht arrête la politique de réescompte3.