Définition et enjeux

Construction et herméneutique d'une économie de la puissance humaine

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La langue

Selon Ferdinand de Saussure30, le signe de la langue associe deux éléments que a priori rien n'unit. Cette union sans raison est ce qu'on appelle l'arbitraire du signe. Il n'y a pas de raison objective pour laquelle on nomme une chaise 'chaise' et un fauteuil 'fauteuil'. L'association arbitraire du signe lie un signifié (plus ou moins confortable dans notre exemple) et un signifiant. Le signifiant a aussi bien une partie matérielle phonologique qu'une partie graphique, écrite.

Le signe du langage, l'association signifiant-signifié est traité à son tour comme un signifiant dans une association d'un autre type et tout aussi arbitraire, la connotation. Le mot 'fonctionnaire', par exemple, a pu être associé à des notions comme la réussite, l'honorabilité ou la probité au 19e siècle et, aujourd'hui, dans la représentation des médias favorables aux intérêts patronaux, ce même mot est associé à l'assistance, au coût ou à l'incurie. On comprend aisément ce qui est en jeu puisque les fonctionnaires ne sont pas soumis à des employeurs et, si on les met entre les griffes des actionnaires, ils subiront la pression à la soumission et à la rapidité, l’impératif de profit comme les autres travailleurs. Ce qui est reproché, au fond, aux fonctionnaires, c'est leur probité, le caractère méticuleux de leur travail, leur dévouement à la qualité de leur travail concret. Ils incarnent une insupportable liberté pour les libéraux, ils incarnent une efficacité en opposition frontale avec leurs théories. Ces différents types d'associations ont été nommés 'connotations' par Roland Barthes. Elles fonctionnent comme un langage en structurant la représentation de l'espace politique et social mais, en demeurant cachées derrière le tapis, elles ne se révèlent pas pour le fait social et politique qu'elles sont mais apparaissent comme une pensée neutre, naturalisée.

A priori, le principe de connotation que Barthes31 dénonçait avec verve et bonheur, devrait s'opposer au capital puisqu'il structure les éléments du monde en les associant à des qualités – démarche opposée au capital qui ôte les qualités des choses, nous l'avons vu.

Proposition 196
La religion capitaliste organise les consciences par les associations automatiques de la pensée bourgeoise, des connotations.
Proposition 197
Les associations de pensée automatiques prolétarisent le cadre de pensée.

Pourtant, les connotations fonctionnent comme une force de naturalisation de la pensée bourgeoise. En naturalisant la pensée des propriétaires lucratifs, en la rendant évidente, elles rendent inaudibles toute perspective alternative alors que l'identité sociale de la petite-bourgeoise tend à devenir universelle. La pensée des propriétaires lucratifs fonctionne comme une série de fausses alternatives32. Au lieu de se demander s'il faut augmenter les cotisations sociales, cette pensée pose la fausse alternative augmentation de l'âge de la retraite et diminution des prestations de retraites. En posant cette alternative, on coince la pensée dans le cadre du maintien du budget des pensions – cadre éminemment idéologique et parfaitement stupide en termes économiques puisque, comme nous l'avons vu, les salaires (et, parmi eux les retraites) créent le PIB, la valeur économique33. Les composants non bourgeois de l'identité sociale composite sont alors exilés de l'espace de représentation qui se présente comme langage, avec la naturalité du langage. La déréalisation du λογοζ que définit cette dynamique prolétarise la pensée même, elle exile l'être de son espace de représentation dans ses caractéristiques propres. Ce faisant, la logique de la connotation phagocyte le langage puisque le signifiant ne renvoie à rien de tangible tant le monde de la représentation, le λογοζ, est appauvri par les ersatz conceptuels, les prêts-à-penser, la pensée bourgeoise et ses a priori ou, pour parler comme Flaubert, ses idées reçues34. Ce processus entraîne la subjectivisation de la pensée, elle participe à l'atomisation d'individus interchangeables et, au-delà de ce caractère auto-immun de la pensée bourgeoise, c'est le signifié lui-même qui est atomisé. On assiste alors à l'émergence d'un langage sans sens, d'un λογοζ sans intention, sans acte illocutoire, on assiste à l'émergence d'un espace de représentation qui exile le sujet et sa subjectivité, son conatus. On parle pour ne rien dire.



À l'instar de la logique de la valeur, l'association automatique tue la puissance d'individuation de la pensée, sa capacité à devenir ce qu'elle n'est pas. Le sujet pensant par machines-à-penser, par concepts standardisés subit une pensée comme la marchandise subit le prix, comme le travailleur subit le profit. La vie n'est plus une opportunité mais une fatalité sujette à récrimination, une réalité qu'on regarde par le prisme de la pensée automatique comme on regarde un écran, comme le temps du téléspectateur se love dans celui du programme, de la chaîne.

La chaîne s'est faite association, l'association pensée, et la pensée organise dans les décombres de l'être ensemble le spectacle de la société.

Ce qui était ennemi du capital participe de l'atomisation et de la prolétarisation, le langage et la logique deviennent des machines à obéir, à suivre, à fonctionner, à intégrer et à exiler la puissance, la volonté et l'identité en devenir de l'être.