Définition et enjeux

Construction et herméneutique d'une économie de la puissance humaine

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Le christianisme

Le monde chrétien et l'antiquité tardive prennent leurs distances par rapport à l'esclavage et par rapport aux bénéficiaires de la violence sociale (Mes amis, comme il est difficile d'entrer dans le Royaume de Dieu ! Il est plus facile à un chameau de passer par le chas de l'aiguille qu'à un riche d'entrer dans le Royaume de Dieu !10) . L'idéal de vie spirituelle, des oiseaux qui ne peinent pas mais se confient à Dieu a modifié le rapport au travail. Jésus préfère Marie, passive auditrice, à Marthe11 qui s'agite, qui court, qui s'occupe des tâches triviales. La richesse que procure le travail abstrait, la forme de violence sociale n'est absolument jamais valorisée dans les Évangiles canoniques.

Mais la position spirituelle, le joyeux dénuement des Évangiles cède rapidement la place à une Église préoccupée par le pouvoir temporel. Cette Église naît dans les décombres d'un Empire tout puissant. Loin de la foi, de la ferveur ou de la quête mystique des croyants, elle corsète l'interprétation des Évangiles dans un cadre dogmatique qui, aujourd'hui encore, façonne le droit canon et les pratiques ecclésiastiques. En passant des catacombes aux palais impériaux, l'esprit du clergé brûlé de foi puis d'ambition a dû redéfinir le cadre de la pratique religieuse. La quête d'amour, de grâce de Dieu devenait alors une crainte de ne pas être conforme à un ordre tout puissant. Pour autant, comme le souligne Henri Guillemin12, la foi des Évangiles devait survivre à cette forfaiture aussi bien chez certains prêtres, chez certains moines que chez les croyants dans leur bonne volonté.

Si les Juifs s'inquiétaient du salut du seul peuple élu, l'Église se préoccupe davantage de salut individuel. Il s'agit pour chacun pris isolément de gagner les faveurs d'un Dieu omniscient et tout puissant, à l'image de l'empereur, du pouvoir temporel. Deux éléments nuancent cependant cette quête individuelle : le Dieu est infiniment bon, il est mort pour la rédemption de tous, ce qui ouvre des perspectives de salut mais ce salut est accordé selon des principes mystérieux, de manière un peu arbitraire ou, en tout cas, imprévisible de manière sûre.

Les plus pieux peuvent en être pour leurs frais (et Jésus dénonce d'ailleurs le pharisaïsme)13, les riches auront la partie difficile mais les prostituées, les proscrits ont leur chance. Le Royaume de Dieu fonctionne un peu en miroir des réussites et des échecs de la vie sociale ici bas. Les actes et le destin post-mortem semblent cependant, implicitement, dans le sujet formulé, lié à l'individu, à son destin, à son devenir social. L'individu est responsable de ses actes et la responsabilité des actes est évaluée en fonction de l'individu et non en fonction du monde qui accouche cet individu, ce n'est pas non plus le moment de la rencontre entre l'individu et son monde qui est évalué – sauf à interpréter la notion de salut et de Royaume de Dieu dans un sens immanent, dans l'hic et nunc de l'acte.