Définition et enjeux

Construction et herméneutique d'une économie de la puissance humaine

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Le surtravail

Avant d'entrer dans le vif du sujet, il nous faut expliquer une notion marxiste qui nous servira tout au long de notre raisonnement, le surtravail. Cette notion marxiste est à la fois l'une des plus simples – tous les travailleurs la ressentent de manière intuitive – et l'une des plus complexes quand il s'agit de la quantifier.

Tout d'abord, précisons que le taux de profit de à l'investisseur n'est pas la même chose que le surtravail. Le taux de profit, c'est le retour sur investissement. C'est le gain divisé par l'investissement initial sous toutes ses formes (il s'agit du point de vue de l'investisseur), qu'il s'agisse de salaires (V, capital variable) ou de capital fixe (C). Si un actionnaire achète pour 100€ d'actions, son taux de profit sera calculé en fonction de cette somme de départ. Si les actions lui rapportent 10€ au bout d'une année, le taux de profit sera la somme investie divisée par le profit : 100€/10€ soit 10 %. Du point de vue de l'actionnaire, il est indifférent que cette somme de 100€ ait été consacrée à des salaires ou à l'achat de machine. Ceci explique pourquoi les investisseurs ne boudent pas les pays à salaires élevés.

Nous avons :

(6.1)

Mais, comme le faisait remarquer Marx, le profit n'est pas créé par le capital. L'épargne dans une boîte à chaussure ne fait pas de petits. C'est le travail qui crée le plus-value et … lui seul. Nous avons nuancé cette thèse en distinguant la valeur économique créée par les seuls salaires finalement – cette valeur économique est parasitée par la rente – et la valeur d'usage créée par le travail concret – qu'il soit rémunéré, qu'il soit sous contrat, sous emploi, ou non. En nous concentrant sur le travail abstrait, sur la création de valeur ajoutée par le salaire, nous observons que le profit et les investissements sont extorqués lors du processus de création de valeur économique du salaire, le profit en tant que parasitage économique et l'investissement en tant qu'accaparement. Nous définirons la partie de la valeur créée par le travail abstrait extorquée par l'investisseur comme le surtravail.

Par exemple, imaginons un le travail abstrait qui produit sur une période donnée une valeur ajoutée de 100. Sur ces 100, 25 vont aux dividendes, 25 aux investissements, propriétés de l'employeur, et 50 aux salaires individuels et socialisés. Le surtravail s'élève à 50, le taux de surtravail s'élève à 50/50, soit 100 %.

L'extorsion concerne aussi bien les profits, les dividendes que la partie du capital qui est réinvestie au nom du propriétaire-extorqueur (C). Le taux de surtravail se calcule en divisant le surtravail absolu (les profits et la partie réinvestie du capital réinvestie) par la partie de la valeur ajoutée dévolue aux salaires (V), inclus les salaires socialisés par l'impôt ou par les cotisations sociales.

(6.2)

On notera en passant que le surtravail, c'est l'addition du taux d'exploitation (Profit/V) et de la composition organique du capital (C/V). Pour donner un exemple concret de différence entre surtravail et le taux de profit, prenons l'automobile. L'investisseur investit 100€ et en retire 15€ de dividendes, par exemple. Le taux de profit est tout simplement de 15 %. Mais ces 15% de taux de profit ont été généré par les seuls salaires (V). Les salaires ont également généré la valeur de C, des investissements dans le capital fixe, dont les salariés sont volés comme propriétaires d'usage légitimes. Dans le secteur automobile, les salaires valent (typiquement) 15 % du chiffre d'affaire, les investissements 15 % et, nous l'avons dit, les profits 15 %. Nous avons donc, en remplaçant les différentes valeurs dans (6.2), un surtravail de 30/15, soit 200 %.

Quelle que soit l'exactitude des chiffres utilisés dans notre exemple, nous avons, dans ce cas d'école, un taux de profit de 15 % et un surtravail de 200% pour une même entreprise, un même investissement, une même production de valeur économique et une même production de valeur d'usage, un même travail concret. L'investisseur voit un profit de 15 % et le travailleur travaille deux heures pour son investisseur quand il travaille une heure pour lui : sur son temps de travail, il preste 100 pour lui quand il preste 200 pour son patron. Sur une journée de travail de neuf heures, il travaille trois heures pour lui et six heures pour son patron. Ce rapport, pour complexe qu'il semble, correspond bien à la connaissance intuitive du travailleur de son temps de travail. Ce taux de surtravail délirant (mais très réaliste) explique pourquoi les pays à hauts salaires ne sont pas nécessairement des pays qui font fuir les investisseurs, ceci explique pourquoi le taux de chômage est quatre fois moins élevé aux Pays-Bas qu'en Espagne alors que le salaire minimum y vaut plus du double : l'investisseur ne regarde pas les salaires mais les retours sur investissement alors que la vulgate libérale persiste à prétendre qu'il importe de « baisser les coûts du travail » pour attirer les investisseurs et augmenter l'emploi.

Proposition 51
Le surtravail est la quantité de travail prestée au bénéfice du propriétaire lucratif.
Proposition 52
Le taux de profit est la quantité de profit divisée par l'investissement en capital.
Proposition 53
C'est le taux de profit qui attire les investisseurs et non la faiblesse des salaires.


La différence entre ces deux taux, entre le taux de profit et le surtravail, s'explique parce que, pour l'investisseur, le C, l'investissement dans le capital fixe n'est pas un bénéfice alors que, pour le travailleur, l'accumulation des investissements dans les outils de production, dans les machines se finance par son travail. La propriété lucrative tranche entre ces deux points de vue : pour continuer dans l'exemple de l'automobile, si les ouvriers cessent de travailler, l'usine appartient aux actionnaires, pas aux ouvriers. Si les ouvriers souhaitent prendre une orientation productive (une augmentation de salaire ou une journée de travail de 6 heures, par exemple) et les actionnaires une autre (une diminution de salaire et une augmentation des cadences), ce sont les actionnaires qui sont juridiquement habilités à prendre la décision – ce qui contraint les ouvriers à faire valoir leur point de vue par la grève, par un rapport de force dont ils ne bénéficient pas autrement, ni de jure, ni de facto.

Note 30. Le surtravail dans la restauration aux États-Unis

La NRA, la National Restaurant Association a bloqué l'augmentation des salaires minimaux dans vingt-sept états sur vingt-neuf. À New-York ou dans le Connecticut, les salaires minimaux ont été amputés des pourboires, ce qui a réduit à rien leur augmentation. Cette association a également bloqué l'adoption des congés payés dans plusieurs états1.



La NRA est très conservatrice, elle bloque les réformes de la santé, les salaires moyens dans la restauration rapide sont de ... 8,74 dollars l'heure (à la cuiller, six euros)2, que ce secteur compte plus de douze millions de travailleurs aux États-Unis pour plus de 600 milliards de profits (à peu près 500 milliards d'euros).



Par rapport à ces chiffres, si nous divisons les profits du secteur par le nombre d'employés, nous obtenons une moyenne de 50.000 dollars extorqués chaque année à chaque producteur de la restauration. En comptant quarante heures de travail hebdomadaire pendant cinquante semaines par an, on arrive au salaire annuel moyen de 17.480$.



Le rapport entre les deux chiffres (profit et salaire) constitue ce que Marx appelle le surtravail, soit, 2,86.



Ce chiffre signifie que le taux de surtravail moyen est de 286%, ou encore que, pour chaque heure travaillée pour lui, un travailleur de la restauration aux USA travaille en moyenne près de deux heures et cinquante-deux minutes (2,86 heures) pour son patron. Sur une journée de huit heures, le producteur commence à travailler pour lui après plus de 5h50 de travail pour le propriétaire. En commençant à 8h du matin, avec une heure de table, en terminant sa journée de travail à 17h, le barman commence à travailler pour lui vers 14h50 (ou vers le 20 septembre en annualisant l'image).



A la fin du XIXe, Marx évaluait le surtravail à 100% (et intégrait les investissements dans les profits). A cette époque, avec ce taux de surtravail, les producteurs travaillaient pour eux à partir de ... 12h (ou vers le premier juillet en annualisant l'image).