Définition et enjeux

Construction et herméneutique d'une économie de la puissance humaine

Fichier PDF ici

À nos amis,
à ceux qui ont trouvé
à ceux qui cherchent encore

Libre échange, accumulation et guerre de tous contre tous

À en croire la vulgate libérale, le libre échange est censé enlever toute propriété intrinsèque aux parties et l'esprit de lucre est censé apaiser les mœurs. Le marché est censé faire jouer sa « main invisible »7 au mieux des intérêts humains. La violence sociale capitaliste était porteuse de la promesse de la fin des guerres de religion, de la fin des guerres des seigneurs. Cette promesse a indéniablement été tenue mais on ne peut dire si c'est parce que la ville ne devait plus être protégée par un seigneur qu'elle a pu commercer en paix ou si elle a pu commercer en paix parce qu'elle ne devait plus être protégée par un seigneur qui lui demandait des droits, des impôts pour ce faire. Ce débat, pour passionnant qu'il soit, connaît sans doute autant de réponses qu'il y a de situations locales ou d'intérêt de débatteur à défendre un point de vue plutôt que l'autre. La question que nous pouvons débattre, par contre, du point de vue des réalisations civilisationnelle du capitalisme est celle de la paix.

La paix des manants contre les seigneurs est indéniablement acquise. Nous n'avons plus à craindre des seigneurs voisins envahisseurs ou de ruffians sans foi ni loi qui nous pillent. Le capitalisme a pacifié les échanges humains mais l'accumulation entretient la nécessité de conquêtes de marché permanentes, la guerre s'exporte alors sans fin. Par ailleurs, les modes de communication industriels ont rapproché culturellement et économiquement des régions auparavant isolées sans qu'elles se fassent la guerre. Nous ne penserons pas le capitalisme convenablement si nous faisons l'impasse sur ses acquis. Par contre, le capitalisme n'a pas aboli toute guerre. Les guerres ont changé de forme : ce qui était tentatives brutales d'appropriation par des seigneurs est devenu conflits ethniques, guerres civiles, ou guerres entre États – généralement asymétriques depuis l'avènement de la menace ultime de l'atome.

La seconde guerre mondiale a fait plus de 40 millions de morts – un chiffre qu'on ne peut rapprocher que des victimes des grandes épidémies apocalyptiques du moyen-âge, des épidémies pendant lesquelles il fallait littéralement brûler les cadavres à la pelle pour tenter de juguler l'infection. Pour autant, cette guerre mondiale – et celle qui l'a précédée et les conflits qui l'ont suivie – est œuvre humaine et s'inscrit dans la logique du système capitaliste. Il ne s'agit pas de conflit entre puissances, entre intérêts pré-capitalistes mais entre puissances industrielles libérales. Nous avons évoqué le problème de l'accumulation, ε, qui est retiré de la valeur ajoutée. Ce retrait de la valeur ajoutée doit être compensé par la conquête de nouveaux marchés8 (des marchés nouvellement acquis au capitalisme, donc) qui remplacent cette disparition de capital. La première réponse à l'impossibilité, au paradoxe à long terme de l'accumulation exponentielle, est la colonie. Il s'agit de transformer un territoire et une population en client captif, en substitut à cette accumulation qui disparaît du circuit économique. De même, les conflits entre États-Nations au XXe siècle – qu'il s'agisse des deux guerres mondiales ou des conflits postérieurs, asymétriques, entre une hyperpuissance, les États-Unis (ou l'URSS) et un plus petit pays acculé à la guerre d'escarmouche, au maquis – répondent à des impératifs économiques multiples :



1. Il s'agit pour les hyperpuissances agresseuses, dans la continuité de la logique coloniale, de se garder, de conquérir des marchés captif qui permettent d'augmenter l'accumulation intérieure.



Avec la solvabilisation de la demande par l'accaparement de la demande d'un marché externe, les cycles économiques peuvent durer plus longtemps avant de s'effondrer, ce qui permet de pousser le taux d'exploitation et de diminuer la structure organique du capital au pays en question. L'accumulation augmente le taux d'exploitation (Pl/V) et diminue la structure organique du capital (C/V) avec le temps or la réalisation externe du capital accumulé sur de nouveaux marchés captifs extérieurs permet de prolonger les cycles d'accumulation. Il y a donc un lien économique entre la colonisation – y compris sous des formes plus ou moins modernes « d'ingérence » ou « d'intervention humanitaire » - et l'exploitation du prolétariat en métropole. Précisons que les guerres « humanitaires » ne dérogent en rien à ce principe et que les « aides » humanitaires sont souvent une façon de fiscaliser la demande interne, de mettre sur les comptes de l'État, du contribuable des dépenses qui profitent à l'industrie intérieure (ce qui peut être utile quand les ménages sont appauvris par la guerre au salaire, par l'augmentation du taux d'exploitation) et sont envoyés à des fins plus ou moins heureuses à l'autre bout de la terre. Les aides en Afrique servent à écouler les stocks de céréales transgéniques américaines dont l'Europe ne veut plus, elles servent à construire des centrales électriques nucléaire en Indonésie sans que l'État ait les moyens techniques et financiers de les entretenir … bref, l'aide au développement sert souvent à construire des éléphants blancs qui sont autant de juteux marchés pour les entreprises des pays « donateurs » et de juteuses créances pour les banques des pays « donateurs ». Avec des amis pareils, le tiers-monde n'a plus besoin d'ennemis. On se souviendra que, lors de la récente guerre en Irak, les industries américaines de sécurité, de pétrole, de génie civile ont sauté sur ce pays comme des sauterelles : il s'agissait pour elles de faire des affaires, du profit. En termes macro-économiques, les États-Unis avait trouvé un client de rêve pour écouler leur production : ce client était solvabilisé par le pétrole dont les États-Unis avaient besoin.



2. Il s'agit pour les puissances nationales de prendre le dessus sur des rivales, des concurrentes, de leur prendre des marchés, de réaliser l'ε à la place des concurrents.



L'objectif économique d'une guerre entre nations, c'est de réaliser sa propre accumulation, d'accaparer chemin faisant des ressources étrangères à son industrie propre, en empêchant les autres nations de faire de la même. Les guerres nationales tentent de délocaliser les contradictions internes, l'ε, à l'étranger. Comme tous les pays font la même démarche, les industriels et les financiers de tous ces pays sont particulièrement intéressés à ce genre de calcul.



3. La guerre est inflationniste, nous l'avons vu, elle permet une destruction gigantesque de valeur.



En termes de valeurs d'usage, les usines, les maisons ou les écoles sont bombardées. En terme de valeur économique, pendant le conflit, les salaires sont comprimés au maximum mais, au terme du conflit, la nécessité d'investissement et de reconstruction de l'appareil industriel et immobilier mobilise la force de travail, ce qui augmente mécaniquement les salaires puisque la main-d’œuvre est amputée de ses forces vives du fait des victimes, des morts et des invalides, de la guerre. Cette destruction de valeur annihile l'accumulation antérieur (pour une partie) mais permet au processus d'accumulation de durer, permet aux contradictions de l'accumulation de ne pas faire effondrer le système. Le système d'accumulation et de propriété lucrative survit alors qu'il fait sombrer la civilisation, l'outil productif et des populations humaines innombrables. Au terme des guerres, la demande immense de main-d’œuvre rééquilibre le rapport travail-capital dans la répartition de la valeur ajoutée, du PIB, ce qui marginalise l'accumulation. Au fond, ce qui permet de redémarrer l'économie après une crise de surproduction, après une guerre, c'est l'immense investissement humain dans les salaires consenti vollens nollens. Cet investissement peut être consenti en faisant l'économie de conflits meurtriers : il suffit d'augmenter la part salariale dans la valeur ajoutée et, accessoirement, d'entreprendre des projets ambitieux.



Le capitalisme amène une certaine paix et induit une certaine guerre. Les guerres capitalistes sont inévitables puisque elles trouvent leurs causes dans le fonctionnement même de l'accumulation. C'est en comparant les deux types de guerre, celles des seigneurs de guerre et celles de l'accumulation, qu'il faut apprécier l'influence du libre échange, de la propriété lucrative sur la paix.



Par ailleurs, la production capitaliste impose la concurrence de tous contre tous. Pour l'emporter sur la concurrence, les producteurs doivent laisser baisser leurs salaires ou dégrader leurs conditions de travail – ce qui sape les bases de la production économique. Cette guerre de tous contre tous prend surtout l'aspect de tout le monde contre soi-même, de chacun contre lui-même, contre son salaire, contre ses conditions de travail, pour l'acceptation de la ruine de la singularisation de la volonté, etc.

Proposition 152
Le capitalisme n'a pas aboli les conflits mais en a changé la nature.
Proposition 153
En termes économiques, les conflits capitalistes ont pour objet de détruire la valeur économique accumulée ou de trouver des marchés pour les marchandises produites, pour solvabiliser la production.