Définition et enjeux

Construction et herméneutique d'une économie de la puissance humaine

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Piste pour éviter l'effondrement

En examinant les liens entre le travail concret, le travail abstrait et la gestion des ressources s'esquisse ce qui peut être une sortie du piège de l'effondrement annoncé par les Cassandre de tout bord – Cassandre au rang desquels nous sommes obligés de nous compter.

Pour ménager l'humain comme ressource, il faut qu'il soit libre dans son travail concret et que le travail concret soit géré en codécision par les travailleurs. Pour prendre une métaphore politique, la démocratie économique, et elle seule, garantit la liberté des travailleurs et cette liberté leur permet seule de prendre en compte leurs limites, leurs aspirations et leurs besoins, de se ménager ou de se dépenser, de se passionner ou de se reposer. On peut également imaginer, pour poursuivre notre métaphore, la solution du despote éclairé. Le patron bienveillant, paternaliste, éclairé, se soucie alors du bien-être des travailleurs pour lesquels il prend les décisions. Cette solution reste fragile et, entre les intérêts de ses intérêts et les intérêts de ses travailleurs, le despote-patron pour humaniste, pour éclairé qu'il soit, risque de trancher au détriment des seconds sauf à risquer de se faire emporter par la concurrence. Si l'on imagine une codécision avec un employeur, quelqu'un qui détermine la carrière salariale et concrète des autres, cette personne est toute-puissante par rapport aux autres, ce qui obère singulièrement leur capacité à décider. En tout état de cause, la codécision implique que personne n'ait de moyen de pression sur les autres et, partant, que le salaire créateur de la valeur économique ne soit pas lié aux décisions de l'individu, du travailleurs, il faut que ce salaire soit un droit politique. Pour d'autres raisons, c'est exactement la conclusion à laquelle est arrivé Bernard Friot. La reproduction, le respect de l'humain comme ressource naturelle impose donc que le salaire soit un droit économique comme le droit de vote est un droit politique et, comme le travail concret est une aspiration humaine impérative, il faut que le travail concret soit organisé en codécision par des travailleurs libres de prester ledit travail concret.

Le travail concret doit être détaché du travail abstrait. Ici, Friot propose de lier le travail abstrait, le salaire à la qualification. C'est une piste, ce n'est pas la seule. De manière moins émancipatrice, on peut aussi imaginer des collectifs de travail à qui on attribue une certaine masse salariale et qui tentent d'attirer, en distribuant cette masse salariale aux travailleurs, les collègues qui les intéressent. Dans l'option de Friot, la violence sociale se concentre dans les jurys de qualifications, dans les institutions de pouvoir et de contre-pouvoir que cela implique ; dans l'idée de collectifs qui attribuent des salaires, cela se jouera au niveau institutionnel également (sur quelles bases et comment la masse salariale sera attribuée à des collectifs, comment un travailleur isolé pourra se faire prévaloir d'une masse salariale supérieure, comment pourra-t-il s'augmenter, ou se diminuer?). Ces pistes ouvrent plus de questions qu'elles n'en ferment. Les expériences de travail concret et abstrait brillent par leur multiplicité et leur variété. La démocratie économique est à leur image, foisonnante, diverse, spécifique.

Par rapport aux ressources naturelles non humaines, nous avons vu que l'accumulation concentrait les richesses et que la concentration des richesses sabotait l'appareil productif – en ce compris les ressources naturelles qu'il utilisait. Il est en tout cas nécessaire d'éviter l'accumulation pour éviter l'effondrement et la disparition des ressources naturelles. Pour ce faire, il faut

- éviter la rémunération de la rente (et abolir la propriété lucrative de facto sinon de jure)

- consacrer, de ce fait, l'intégralité de la valeur ajoutée aux salaires (ou aux investissements qui paieront uniquement des salaires)

- distribuer les salaires de sorte qu'ils soient tous intégralement dépensés dans le long terme. Friot évoque une échelle salariale de un à quatre, d'autres prônent l'égalité absolue mais, en tout état de cause, quand les inégalités de revenus dépassent un certain niveau, l'intégralité des hauts revenus n'est plus nécessairement intégralement dépensée même à une échelle de temps longil y a une accumulation mortelle pour l'économie à terme. Cette accumulation a un effet de chaise musicale avec la masse monétaire en circulation.

Au-delà de ces quelques considérations sur lesquelles nous avons déjà eu l'occasion de réfléchir, il nous reste la question de savoir comment faire fonctionner la démocratie économique de manière vertueuse, de manière à ce que les décisions des agents économiques intègrent la nécessité du ménagement des ressources naturelles. Tout d'abord, il faut souligner que, à toutes autres choses égales, les travailleurs en codécision ont intérêt à préserver les ressources dont dépendent leurs activités. C'est sur cet intérêt symbiotique qu'il faut compter et non sur quelque mécanisme extérieur plus ou moins autoritaire tel les marchés ou l'État-Léviathan. L'intérêt ou l'intérêt objectif est ici compris comme la force de la détermination des contingences matérielles. Comme a priori, les humains ont tendance à prendre les bonnes décisions s'ils veulent préserver leur activité, nous avons tendance à croire dans une espèce de pari pascalien à l'efficacité, à la bienveillance et à la considération du bien-être général dans les décisions d'assemblées de travailleurs libres. Bien sûr, nulle assemblée, aussi démocratique soit-elle n'est à l'abri d'erreur d'appréciation mais un collectif humain qui fonctionne en donnant voix au chapitre à toutes les sensibilités – à tous les intérêts objectifsaura tendance à prendre des décisions plus réfléchies et mieux acceptées par le groupe. Ces décisions auront tendance à être plus en phase avec ses intérêts. Par contre, de manière générale, une institution quelle qu’elle soit n’évite ce genre de dysfonctionnements que si d’autres institutions lui font contre-pouvoir.

C'est la question du Léviathan, de la main invisible du marché qui se pose ici. Est-ce que l'humain est naturellement bon, est-ce qu'il aura tendance à préserver les intérêts de l'espèce, de son milieu, dans ses décisions ou est-ce que son égoïsme doit être tempéré par des instances coercitives, par des institutions ? Cette question dépasse le présent ouvrage, elle ouvre la question du politique – nous nous bornerons à répondre avec Jacques Généreux8 que l'Homme n'est ni mauvais, ni bon, il est relationnel et que c'est sur l'être social et sur la socialité de l'être humain que repose l'opportunité des choix humains par rapport au devenir de l'espèce et de son environnement. Pour le formuler autrement, le champ politique doit être appréhendé sous la question des liens sociaux – et c'est dans la mesure où les travailleurs, les gestionnaires en codécision, seront en lien entre eux et avec des tiers qu'ils intégreront les intérêts de l'espèce et de son milieu. La question politique devient alors anthropologique. Sans prétendre épuiser cette passionnante question anthropologique du devenir politique, nous étudierons un peu plus loin la construction de l'être ontologique dans le faire, dans les différents modes d'organisation de la production économique concrète et de la violence sociale.

Proposition 55
L'économie humaine n'a pas besoin d'être gouvernée par un gouvernement puissant ou par des mécanismes de régulation tels que la concurrence ou le marché.
Proposition 56
La vie de l'espèce humaine dépend de la terre, de ses ressources naturelles et de la richesse de la vie qui s'y déploie.
Proposition 57
Si le payeur est le décideur, on considérera à bon droit qu'il décidera de ne point nuire à ses intérêts.