Définition et enjeux

Construction et herméneutique d'une économie de la puissance humaine

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Valeur et Rome antique

Les classes sociales se forment au cours de l'Antiquité. Les outils de production ne sont plus partagés en propriété commune. Les citoyens possèdent tout ce dont ils ont besoin, ils jouissent de droits politiques qui feraient rêver nombre de nos contemporains. Pour autant, ce qui est valorisé dans ces milieux, c'est la générosité, la capacité à effectuer des dépenses somptuaires, ce que les latins appelaient l'évergétisme. Si, au départ, le trophée olympique, le sacrifice divin sont les seules choses précieuses, il a fallu l'avènement d'une classe affairiste dans l'empire romain pour voir l'argent prendre une valeur d'usage pour cette classe.

Note 36. Les Flaviens et les Antonins


Notes:



Les dates avant notre ère sont notées BC (before Christ – avant Jésus-Christ) et celles de notre ère sont notée AD (annus dei – après Jésus-Christ) pour des raisons de simplicité.

Nous avons tiré les événements concernant l'Empire romain de Rostovsteff, L'histoire économique et sociale de l'Empire Romain9, nous ne partageons pas toutes ses options historiques mais utilisons le formidable travail de synthèse.



68 AD - 192 AD

Résumé



Cette période voit une certaine prospérité, une relative stabilité politique de l'empire mais la dualisation de la société, la concentration des richesses rendent la machine économique moins efficace et en compromettent la pérennité. La propriété foncière est d'ordre lucratif ce qui, là aussi, comme aujourd'hui, menace la continuité de la production agricole.



Pour lutter contre la crise économique endémique, les empereurs essaient de racheter et de redistribuer des terres (impossible parce que cela coûte trop cher), la fermeture des frontières (pour éviter l'émigration d'Italie) ou lèvent des impôts exceptionnels qui frappent les plus riches. Comme les causes économiques du marasme (concentration et propriété lucrative) ne sont jamais remises en cause, les tenanciers continuent à (mal) travailler les terres de leur propriétaire pour des produits destinés à la vente quand des paysans sur leurs terres auraient nourri leur famille, leur clan.



Les salaires aussi étaient absolument inexistants pour la plupart de la population (les paysans) ou extrêmement faibles (pour les ouvriers, les prolétaires ou les esclaves).



Les impôts et les services de corvées obligatoires n'ont jamais suffi à surmonter le marasme économique.



L'incapacité des empereurs successifs à surmonter la crise économique devait aboutir à un pouvoir militaire absolue.



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Contexte



Le recrutement de l'armée se fait dans la bourgeoisie de tout l'Empire.



La bureaucratie se développe. Des Provinces s'urbanisent. L'accès à la citoyenneté romaine s'élargit dans les provinces largement romanisées.



Vespasien réorganise les vastes domaines agricoles impériaux.



La situation sociale est explosive - émeutes ou manifestations - dans les nombreuses cités en voie d'urbanisation en cas de disette ou de famine, ces cités passaient après les besoins de l'État ou de l'empereur.

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Ébauche de redistribution sociale et d'impôt: du pain et des jeux



Évergétisme et organisation de jeux pour distraire les prolétaires de leur ressentiment. Ces jeux étaient offerts par les magistrats et par des riches citoyens ou par la cité contrainte de les organiser pour éviter tout soulèvement. La cité mettait alors naturellement les citoyens les plus riches à contribution: il fallait verser une certaine somme (la summa honoraria) pour avoir l'honneur d'être magistrat ou d'occuper un quelconque poste honorifique. En cas de famine, les riches contribuaient au ravitaillement et distribuaient parfois du pain.

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Accumulation



L'accumulation de richesse se fait entre des mains plus nombreuses. Les citoyens riches ne sont plus exclusivement des Romains et, quand ils sont Italiens, ils viennent aussi de province. Les nababs du Ier siècle BC ou les multi-millionnaires de l'aristocratie urbaine de l'ère julio-claudienne ont cédé le pas à une haute bourgeoisie moins riche, moins concentrée sur la ville de Rome.



Il s'agissait de capitalistes répandus dans l'Empire, ce n'était plus des propriétaires fonciers.



La concentration de la propriété foncière s'étend à l'empire dans son entièreté et non plus à la seule Italie entre les mains de quelques propriétaires, notamment de l'empereur. Les petits propriétaires disparaissent dans l'empire, les petits propriétaires deviennent des tenanciers. La concentration de la propriété fait stagner ou reculer les techniques agricoles. L'agriculture se tourne vers la vente ; les propriétaires font travailler leurs terres par des tenanciers. Le vin ou l'huile, facilement commercialisables remplacent les potager vivriers dans les champs.



La population rurale paysanne demeure majoritaire, elle domine numériquement les artisans, les esclaves ou les prolétaires et les bourgeois urbains. Cette population rurale connaît des conditions de vie très simples. Les paysans sont souvent accablés d'impôts et sont victimes de la brutalité des autorités. Ils sont déconsidérés socialement.

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Croissance



Globalement, la période se caractérise par une croissance économique et une paix rarement troublée. Mais, sur les marches de l'Empire, à mesure que les ennemis s'approchaient, il a fallu renouer avec la politique d'extension et d'urbanisation des marches fraîchement conquises [notamment la conquête de la Dacie par Trajan]. Cette politique a mobilisé les moyens matériels et humains de l'empire, elle a poussé à augmenter les impôts.



L'augmentation des impôts - essentiellement acquittés en blé - tend la situation sociale.

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Déclin et crise agricole



L'Italie est confrontée à la dépopulation et à la baisse de la production agricole. Nerva s'est efforcé de repeupler le pays en redistribuant les terres aux plus pauvres mais cette opération est trop onéreuse et ne peut être réalisée à grande échelle: les Romains n’ont plus de perspective dans leur pays.



Trajan favorise alors le crédit pour stimuler la spéculation sur les terres, ce qui devait augmenter la demande de tenanciers, de bras pour défricher les terres abandonnées. Des avantages - frais d'éducation des enfants du prolétariat italien - sont concédés dans la péninsule afin de prolonger la domination impériale. Trajan crée aussi un corps de fonctionnaires mais toutes ces mesures ne font que ralentir le déclin italien.



Des tensions centrifuges (Bretagne, Égypte, Maurétanie, les Juifs en Mésopotamie, en Palestine ou Cyrénaïques) se font jour et mobilisent les forces des cités impériales incapables d'y faire face.



Hadrien doit alors abandonner (ou geler) les conquêtes de son prédécesseur.

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Défaut partiel



Hadrien allège les frais d'occupation, il décentralise le recrutement de l'armée et confie la défense des limes (les frontières) aux autochtones. Il remet partiellement les dettes et les arriérés des cités au fisc romain.



La levée des impôts est confié aux chevaliers, classe formée et contrôlée.



Hadrien favorise les petits propriétaires de parcelles paysannes au détriment des tenanciers. En Égypte - grande puissance agricole alors - il distribue une partie des terres de l'État en petits lopins. Mais cette politique ne semble pas avoir duré dans le temps.

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Conquête, impôt et crise



Marc-Aurèle reprend les conquêtes, en Germanie, et est contraint de lever de nouveaux impôts.



La crise économique - en dépit de tous les efforts des empereurs successifs - s'installe durablement et s'approfondit au cours du IIe siècle AD. Cette crise épargne les marches qui sont en pleine croissance jusqu'au milieu du IIIe AD.

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Urbanisation et dualisation



Le pouvoir pousse à l'urbanisation - ce qui augmente la charge de travail des ruraux pour nourrir les citadins. La population de l'empire se divise en deux grandes classes: les dirigeants et les dirigés; les bourgeois et la classe laborieuse; les propriétaires fonciers et les paysans; les patrons d'échoppe et les esclaves.



Le fossé entre ces deux classes ne cesse de s'approfondir à mesure que l'empire s'urbanise. Les dirigés deviennent toujours plus opprimés et les dirigeants toujours plus oisifs.



Le mode de redistribution de la richesse est l'impôt dans le système de la 'liturgie' (λειτουργία, service du peuple) quand les impôts ordinaires ne suffisent plus à remplir leurs offices. L'individu (riche) est alors responsabilisé par rapport aux devoirs de l'État, au devoir de charité, à la corvée envers les pauvres.



Les offices des fonctionnaires sont des liturgies et ne sont donc pas payés, ne génèrent aucun salaire. Dans les régions pauvres, il est souvent difficile de trouver des volontaires pour remplir les fonctions - il faut parfois avoir recours à la force. Les plus riches sont chargés de collecter les impôts. Les impôts touchent les tenanciers.

Les prolétaires sont exclus de la possession monétaire, l'argent leur sert au mieux de vecteur, d'intermédiaire à leurs dépenses. La valorisation d'usage connaît alors une divergence de classe. Pour la bourgeoisie d'affaire et pour la noblesse impériale romaine, la valeur patrimoniale est incarnée par des propriétés, des fonctions administratives ou de l'argent. La nature des propriétés a évolué : d'abord essentiellement foncier, le patrimoine est devenu ensuite immobilier. Par contre, pour les prolétaires et pour les paysans, la valeur concrète se centre autour des besoins quotidiens et de la quiétude.

On notera que les dominants sont divisés en noblesse urbaine, bourgeoisie d'affaire urbaine et propriétaires terriens. Les dominés sont divisés aussi : les urbains sont des paysans dépossédés par la concentration de la propriété et par la conversion de l'agriculture vivrière en exploitations lucratives ; ils attendent une intervention des autorités pour survivre alors que les paysans, les esclaves ruraux travaillent la terre d'autrui. Esclaves et prolétaires vivent de manière impécunieuse – les valeurs d'usage se centrent sur des besoins simples. La valeur d'usage est fortement conditionnée par le statut social alors.