Définition et enjeux

Construction et herméneutique d'une économie de la puissance humaine

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Accumulation et Ponzi

Pour tenter de comprendre le phénomène mis en avant par Ahmed Nafeez, nous allons faire un détour par la notion de système de Ponzi. Un système de Ponzi est défini par Wikipédia comme

un montage financier frauduleux qui consiste à rémunérer les investissements des clients essentiellement par les fonds procurés par les nouveaux entrants. Si l'escroquerie n'est pas découverte, elle apparaît au grand jour le jour où elle s'écroule, c'est-à-dire quand les sommes procurées par les nouveaux entrants ne suffisent plus à couvrir les rémunérations des clients. Elle tient son nom de Charles Ponzi qui est devenu célèbre après avoir mis en place une opération basée sur ce principe à Boston dans les années 1920.

La fonction d'accumulation ε telle que nous l'avons définie permet aux propriétaires de capitaux rémunérateurs d'amasser des valeurs. L'ensemble de ces valeurs additionnées forme un capital de plus en plus important à mesure que le temps s'écoule. La valeur de ces capitaux est virtuelle : il faut des biens et des services produits pour que ces capitaux aient quelque valeur. La valeur du capital – quelle qu'en soit la forme – est toujours gagée sur le travail réel.



Nous rappelons que le travail réel, c'est l'ensemble des tâches réelles effectuées pour produire des biens et des services réels. Le travail réel n'a pas de lien direct avec le travail abstrait, la création de valeur économique, laquelle est liée, comme nous l'avons vu, in fine aux seuls salaires. Ce sont les salaires, le travail abstrait, qui créent la valeur économique alors que le travail réel crée la valeur d'usage sur laquelle est gagé tout capital. Si plus personne ne produit rien de réel (en imaginant un cas d'école, une économie de cimetière), personne ne peut plus rien acheter avec son argent, avec son capital sous quelque forme que ce soit et la valeur de l'argent ou du capital égale alors à zéro. Pour le dire autrement, c'est parce que des gens prestent du travail concret que la valeur de l'argent, du capital a un sens.



Pour expliquer la différence entre travail concret et travail abstrait, nous allons énumérer les différents aspects que peut recouvrer le travail concret.



L'emploi rémunère la prestation de travail concret, la réalisation concrète de biens et de services. Mais la rémunération constitue en elle-même du travail abstrait, c'est elle qui fonde la valeur économique des biens et des services réalisés. Le prix de la marchandise réalisée par le travail concret à l'occasion du travail abstrait intègre le montant du salaire, le travail abstrait, de l'employé mais aussi du fonctionnaire correspondant aux impôts ou du prestataire social correspondant aux cotisations sociales.



Le travail réalisé hors emploi réalise aussi les biens et les services sur lesquels le capital gage sa valeur. La prestations de services à domiciles, les tâches domestiques en constituent une part appréciable. On notera aussi l'importance de la production réelle des chômeurs, des retraités ou des malades : garde d'enfant, école de devoir, échanges sociaux, potager, présence, aide à domicile … L'ensemble des services et des biens produits par le travail réel est tout simplement inestimable et soutient l'ensemble de l'économie, l'ensemble du travail abstrait, l'ensemble de production de valeur économique qui, sans ce travail concret hors emploi, disparaîtrait. Sans le travail concret hors emploi, personne ne survivrait (les enfants ont besoin de contact physique, de soin et d'affection), personne ne parlerait (l'acquisition du langage est conditionnée au temps passé à échanger en langue maternelle avec l'enfant), personne ne jouerait (il s'agit de travail réel hors emploi) et, donc, personne ne développerait ses sens, ses capacités motrices et ses capacités intellectuelles : l'humanité serait ramenée à l'état de champignon. Par ailleurs, tout ce qui est produit dans le cadre de l'économie a deux aspects : la valeur économique est le fruit du travail abstrait et les biens et les services viennent tous de l'action humaine sur la nature, du travail concret6.



Ceci nous permet de distinguer deux formes du salaire, du travail abstrait pour la production réelle : les salaires socialisés de la sécurité sociale augmentent le ρ de la production économique et permettent donc de pérenniser la production économique – il s'agit des retraites, des pensions d'invalidité ou des allocations de chômage7 d'une part et, d'autre part, il s'agit des salaires de la fonction publique liés non à une prestation de travail concret mais à une qualification personnelle. En continuant dans le sillage de Bernard Friot, dans les deux cas, la production de valeur économique est totalement dissociée de la production de valeur d'usage, le travail abstrait et sa violence sociale sont dissociés du travail concret. Si cette dissociation permet de libérer le travail concret de son asservissement au travail abstrait, à la violence sociale, elle ouvre aussi la perspective d'une stabilisation de la machine économique à condition que les salaires à la qualification personnelle, que les salaires socialisés englobent l'intégralité du PIB, soit directement, sous forme de cotisations, soit indirectement, sous forme d'investissements qui rémunéreront des salariés par le truchement des cotisations.



Mais l'accumulation menace le travail concret hors emploi parce qu'elle entend étendre les sphères de sa domination à tout ce qui est non-capitaliste, elle entend englober toute la production réelle extérieure à son champ. Ce faisant, elle sape les bases-mêmes de ce sur quoi elle est gagée, elle sape la réalité, l'effectivité-même de son incarnation. Pour résumer, on pourrait dire que le capital s'accumule et que, s'accumulant, il sape aussi bien la réalité de sa valeur en détruisant les bases de ce qui lui est extérieur, le travail réel, que les fondements de la création économique, les salaires. Cette forme d'accumulation détruit le capital sous toutes ses formes. Ce sont les outils de production qui finissent par rouiller, les champs qui sont laissés en friche alors que les affamés se bousculent à la soupe populaire, ce sont ces travailleurs qualifiés laissés oisifs, désespérés et, finalement, c'est la connaissance-même utile à la production qui disparaît du fait de l'accumulation.

Note 19. Les retraites par répartition sont durables, les retraites par capitalisation sont une pyramide de Ponzi, une arnaque


Pour examiner le caractère spéculatif des retraites à long terme, nous allons d'abord évaluer l'impact de l'inflation sur la valeur d'argent. Une fois que cela sera fait, nous allons voir à quelles conditions les prestations indexées pourront ne pas être une pyramide de Ponzi, une arnaque spéculative.



Un euro donné vaut celui de l'année précédente multiplié par un plus le taux d'inflation.

(1)




avec i qui est égal au taux d'intérêt corrigé de l'inflation.

On en déduit qu'un euro vaut celui de l'année précédente divisé par un plus le taux d'inflation.



(2)




Ceci implique que les prestations des retraites indexées seront elles aussi inscrites dans cette équation générale.



(3)

avec =prestations de retraite d'une année t






on a i=0 en retraite par répartition et i>0 pour les retraites par capitalisation.



Les retraites par capitalisation accumulent du bénéfice, des dividendes. La valeur du capital-retraite doit augmenter plus vite que l'inflation pour pouvoir rémunérer les retraites. Si le i est plus petit ou égal à zéro, les retraites par capitalisation ne paient pas leurs bénéficiaires une fois leur carrière finie, elles ne servent à rien (et on se demande ce qui forcerait les futurs retraités à cotiser pour une caisse qui va disparaître, diminuer ou stagner).



(4)




Avec C= cotisations à un temps donné et P= prestations de retraite à un temps donné.

Cette inéquation montre que les cotisations antérieures sont nécessairement inférieures ou égales aux prestations actuelles. Si elles sont strictement inférieures, cela signifie que le système de retraite n'est pas tenable à long terme, que c'est une pyramide de Ponzi, une arnaque à long terme fondée sur la confiance ; si elles sont égales, le système peut fonctionner dans le long terme sans heurt.



Pour que cette inéquation devienne une équation, pour que les cotisations antérieures soient égales aux prestation actuelles, il faut



- que , les cotisations d'un temps donné, soit indexé, qu’il soit lié au PIB et aux prix



- que i=0, ce qui est le cas pour les retraites par répartition mais non pour celles par capitalisation



- par ailleurs, il n'y a pas de thésaurisation dans les retraites par répartition : ce sont les cotisations de l'année t qui paient les retraites de l'année t.



L'inéquation devient une inéquation stricte dans le cas des retraites par capitalisation et une équation dans le cas de retraites par répartition. En considérant tout ce que nous avons dit, il reste de (4) pour les retraites à répartition :



(5)




si l'on additionne l'ensemble des prestations P et l'ensemble des cotisations C, il vient :



(6)




Dans le cas de retraites par répartition, i=0 et , l'inégalité devient donc une égalité sans que cela ne pose de problème. Les cotisations couvrent toujours parfaitement les prestations à conditions que les retraites demeurent liées à l'inflation – à condition que la base salariale sur laquelle se calcule les cotisations sociales finançant les prestations de retraites soit consciencieusement indexée, qu'il n'y ait pas d'exemption de cotisation, de contrat d'emploi sans cotisation.



Il vient à ce moment-là, pour les retraites par répartition.



(7)




Par contre, cette inégalité, quand i est strictement positif et que le temps de la cotisation est décalé par rapport au temps de la prestation, quand il y a accumulation de capital sur des cotisations régulières à long terme, montre le problème de la capitalisation. À un moment donné, les cotisations deviennent infiniment plus petites que les prestations et ne peuvent plus les couvrir. Comme les retraités par capitalisation ont cru acheter un produit spéculatif qui augmenterait de valeur mais que l'augmentation de valeur n'a eu lieu qu'au bénéfice de quelques uns et au détriment de tous les autres, il s'agit bien d'une pyramide de Ponzi.

Proposition 27
Les retraites par capitalisation sont destinées à s'effondrer.
Proposition 28
Les retraites par répartition sont pérennes à condition de garantir l'assiette salariale.


Note 20. La prolétarisation

Prolétaire et bourgeois



Karl Marx a pensé le concept de prolétarisation et de prolétaire quand il a analysé le fonctionnement d'un système économique qu'il a appelé le capitalisme.



Le capitalisme est un mode de production dans lequel le capital investit dans du travail vivant - du salaire - ou du travail mort - des machines, des matières premières, etc. De cet investissement, le propriétaire des outils de production retire une plus-value.



En examinant le fonctionnement de ce système, il a distingué deux classes sociales, les propriétaires de l'outil de production, ce qu'il a nommé les bourgeois et les gens contraints de vendre leur force de travail, les prolétaires. Les prolétaires ne sont pas propriétaires (même d'usage) de ce qu'il leur faut pour survivre, pour vivre. Les bourgeois, les propriétaires lucratifs, retirent par contre un bénéfice du travail sous contrainte des prolétaires.



Ces deux classes sociales ne sont pas constituées par des gens, par des castes (même si le capitalisme tend à fonctionner comme cela) mais par des rapports de production. Les prolétaires ne possèdent pas leur outil de travail et doivent vendre leur temps alors que les bourgeois possèdent un outil de travail qu'ils n'utilisent pas et qu'ils en retirent un gain, ils en ont une propriété vénale, lucrative et non une propriété d'usage.



L'existence même de prolétaires constitue un démenti cinglant à la notion de liberté chère aux libéraux. L'aiguillon de la nécessité - contrainte au travail - prend une telle emprise sur les existences qu'il en réduit la liberté à néant.



Prolétarisation



La prolétarisation est le processus par lequel un producteur est dépossédé des ressources utiles à sa survie, de son outil de travail.



- L'enclosure, la privatisation des ressources communes a comme conséquence une prolétarisation, elle pousse les producteurs à vendre leur force de travail et les dépossède de ce dont ils ont besoin pour vivre dignement. Nous parlons alors de prolétarisation des ressources. Cette prolétarisation touche l'ensemble du corps social. L'accaparement des terres s'est doublé d'une privatisation du droit à la reproduction des semences par les patentes ou des œuvres par la propriété intellectuelle devenue propriété lucrative.



- Le mode de production industriel prive également les producteurs de toutes ressources. À mesure que les capitaux se concentrent, la production se fait à une échelle de plus en plus grande, ce qui implique des capitaux de plus en plus gigantesques investis dans l'outil de production, ces capitaux gigantesques sont hors de portée des producteurs. Les petits producteurs ne peuvent affronter la concurrence des grands, leurs économies d'échelle et sont contraints de vendre leur force de travail sur le marché de l'emploi, ils sont prolétarisés. Nous parlons alors de prolétarisation de l'outil de production.



- La connaissance, les savoirs qui interviennent dans la production font partie des ressources utiles à la survie, à la vie. Le mode de production industriel puis l'organisation fordiste du travail (y compris le recours actuel aux protocoles dans les métiers de service), la division extrême du travail, le recours aux tâches répétitives prolétarisent également les producteurs8. Nous parlons alors de prolétarisation de la connaissance. Cette prolétarisation touche l'ensemble du corps social - y compris les propriétaires d'outils de production - elle est consubstantielle au mode de production capitaliste et y est à l’œuvre depuis ses origines.




Proposition 29
La prolétarisation est le processus de dépossession de l'économie concrète.
Proposition 30
La prolétarisation des ressources est la transformation des communaux en propriété privée.
Proposition 31
La prolétarisation de la connaissance est la dépossession des savoirs-faire, des techniques utiles à la production économique concrète.


Le capital est un dieu impitoyable qui dévore aussi bien ses séides que ses ennemis ; l'accumulation ne peut être rassasiée par quelque sacrifice que ce soit. Le principe-même de l'accumulation s'oppose à la théorie du trickle down ou du ruissellement : nous avons vu que plus les revenus sont élevés, plus ils sont liés à la propriété lucrative et non au travail abstrait, moins ils sont réalisés. Le seul ruissellement possible est celui du salaire.

Proposition 32
La théorie du ruissellement ne fonctionne pas du fait de l'accumulation de la rente.