Définition et enjeux

Construction et herméneutique d'une économie de la puissance humaine

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Note 8. les dettes


Face à la perte de pouvoir d'achat, à la stagnation des salaires, les travailleurs américains ont eu recours à l'endettement pour conserver leur niveau de vie, pour acquérir des biens immobiliers à partir du mitan des années 1990. Cet endettement a éclaté parce que, au moment de rembourser les dettes, les salaires américains ne suffisaient pas à solder les comptes. Les dettes ne sont pas des dons : tout ce qui est donné doit être rendu grevé de ses intérêts. Au final, en tenant compte de tous les remboursements à travers le temps, la dette n'augmente pas le niveau de vie ou la capacité de dépense et d'équipement mais les diminue au contraire. En empruntant une somme à un taux d'intérêt, on devra payer cette somme en retour plus les intérêts – on aura dépensé davantage pour acquérir la chose achetée que si on avait pu la payer comptant. Les dettes agissent donc comme des machines à augmenter le prix effectif de toute chose, des machines à grever la part salariale réelle de la valeur ajoutée au profit de la part des rentiers. Les créanciers sont par définition des rentiers et la réalisation de leur capital n'est pas intégrale, ce qui menace le système de production de valeur économique à long terme.

Par exemple, pour rendre la chose concrète, si nous reprenons la formule de calcul des mensualités traditionnelles :

(1) avec m=mensualité ; K=le capital emprunté ; t= taux annuel proportionnel ; n= le nombre de mensualités, on a

Avec cette formule, on constate qu'une personne qui emprunte 100.000€ sur 15 ans à 6 %, payera 180 mensualités de 844€ soit un total de près de 152.000€. Pour le dire simplement, la maison que l'emprunteur aurait dû acheter 100.000€ lui aura coûté dans notre simulation plus de 50 % en plus. Sur les quinze années du crédit, cette somme de 52.000€ ne pourra être consacrée à autre chose : le crédit aura appauvri l'emprunteur.

Les personnes, les institutions ou les pays endettés doivent gagner de l'argent à tout prix pour rembourser leurs créanciers en transformant leur économie en chrématistique, en transformant la gestion de leur appareil productif en art de gagner de l'argent à tout prix. Le remboursement de la dette n'est néanmoins pas toujours jugé légitime, les particuliers et les institutions font faillite et les États font défaut.

Toute dette connaît cette fin-de non paiement parce qu'elle repose sur une fonction mathématique exponentielle. Cette fonction mathématique aboutit à des montants astronomiques, impayables à plus ou moins long terme. C'est pourquoi, périodiquement, pendant l'antiquité aussi bien qu'au Moyen-Âge, des pardons, des acquittements de dette étaient prévus.

En attendant le défaut ou la faillite, la dette pousse à l'emploi. Les employés endettés doivent vendre leur force de travail pour honorer leurs dettes; de même, les propriétaires d'entreprise endettés doivent tirer un maximum de valeur ajoutée en diminuant les salaires. Les dettes poussent à piller les ressources naturelles, à externaliser les coûts de production pour maximiser les bénéfices pour payer les créanciers.

Qu'importe alors que ces créances aient été obtenues en volant les personnes endettées elles-mêmes, les pays endettés bradent leurs ressources, les travailleurs endettés se vendent à vil prix par peur de l'huissier et de la fin du crédit. Les créanciers sont également les propriétaires des usines - ou sont leurs créanciers - qui exploitent les ressources naturelles bradée et les ouvriers endettés. Par la dette, ils maintiennent une pression sur le marché de l'emploi, une pression sur les ressources naturelles, augmentent leurs profits et la logique d'exploitation de l'emploi.

Toute accumulation - au fondement de toutes les créances - est créée en ponctionnant la valeur ajoutée produite par les travailleurs abstraits récipiendaires de salaires, quelle qu'en soit la forme. Au fond, les créanciers avancent l'argent volé aux producteurs à ces derniers qui doivent, du fait de leurs dettes, travailler davantage sous le joug de l'emploi, ce qui baisse le prix de l'emploi et augmente les bénéfices des créanciers, la partie de la valeur ajoutée créée par le producteur qu'ils ponctionnent.

Définition

La dette est détenue par des gens qui ont pu épargner sur leurs revenus. Sans s'attarder sur le petit épargnant qui place des économies en créances de la dette publique1, en obligations, puisque ce petit épargnant va finir par réaliser son capital, dans une voiture, dans une maison ou dans des études pour ses enfants. La partie de la dette publique détenue par les petits épargnants est très faible.

Les gens qui peuvent épargner sont essentiellement des gros revenus - soit des salaires mirobolants, soit des revenus issus des dividendes, éventuellement par le truchement de produits financiers plus ou moins farfelus. Si c'est une épargne issue de salaires mirobolant, elle grève la productivité puisqu'il s'agit d'une partie non dépensée du capital produit; si c'est de l'épargne issue de dividendes, il s'agit d'un vol de valeur ajoutée au producteur.

En tous cas, les créanciers ont obtenu leur argent soit de manière contre-productive, au détriment de la production de valeur économique par les salaires, ce sont alors des boulets dont il faut réduire l'effet délétère sur l'économie, soit par vol. Il faut alors saisir les biens recelés et les restituer à leur légitimes propriétaires, les salariés.

La rémunération de l'argent, le taux d'intérêt était considéré comme de l'usure par les grandes religions. Quand elle n'était pas tout simplement prohibée, elle était strictement encadrée, réglementée. Comme les plus riches détiennent les créances, les taux d'intérêt usuraires concentrent toute la richesse économique dans leurs mains, ce qui, finalement, a toujours grippé la machine économique2.

Les taux d'intérêt sont une pyramide de Ponzi, une escroquerie en cascade car ils sont gagés sur un travail abstrait à venir et sa production marchande par un argent qui ne correspond à aucun travail concret. Par ailleurs, du fait même de l'accumulation sans limite, les taux d'intérêts sabordent l'économie productive et l'efficacité du travail concret. Ils définissent une fonction exponentielle. Qu'on en juge.

Si Don Quichotte avait emprunté un euro à 5%, il devrait rembourser aujourd'hui près de 300 millions d'euros. Une paille.

Si Jésus avait emprunté un euro sur les marchés à 5% également, il devrait aujourd'hui payer 4,508779821×10⁴²€, soit l'équivalent de 1,734146085×10³⁵ tonnes d'or, 29 trilliards de fois la masse de la terre en or pur. Pour un euro, notez-le bien. C'est probablement ce que les économistes vulgaires appellent « vivre au-dessus de ses moyens ».

1Jean-Jacques Chavigné évalue la portion de petits-porteurs détenteurs de la dette publique française à … 1 % (voir l'article internet ici : <http://www.democratie-socialisme.org/spip.php?article2452>
2Voir, D. Graeber, Debt, The first 5,000 years, Melville House, 2012. Ce livre a été traduit en français D. Graeber, Dette : 5000 ans d'histoire, Les liens qui libèrent,‎ 2013.