Définition et enjeux

Construction et herméneutique d'une économie de la puissance humaine

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Note 47. L’évergétisme ou la neutralisation de la conflictualité (Giraud)

Cette note se compose d'extraits de cette interview qui explique comment neutraliser la conflictualité1.

Contexte de l'entretien avec un DRH

Comment se débarrasser de syndicalistes trop combatifs? C’est tout le travail des professionnels des ressources humaines. Petite leçon de stratégie de domestication syndicale par un DRH.

Cet entretien a été réalisé en avril 2006, avec l’ancien DRH d’une entreprise de papeterie du nord de la France, employant 900 salariés. Au moment de l’entretien, l’entreprise est en cours de restructuration, impliquant la suppression de 500 emplois. Ce DRH est parti à la retraite peu de temps avant, après avoir rempli cette fonction dans l’entreprise depuis 1990. Diplômé de Sciences-po Paris et titulaire d’un DESS en droit social, il avait occupé auparavant le même type de poste dans plusieurs autres grandes entreprises industrielles françaises, au gré d’une carrière professionnelle « dominée par les restructurations ».

Un fond combatif
(...)

c’est qu’il y a un vieux fond d’extrémisme quand même. Il paraît que là, dans les circonstances présentes, il y a toujours une centaine de personnes qui sont prêtes, je veux dire à mettre le feu, qui sont prêtes à… abîmer l’outil de travail, etc. Ça c’est un vieux fond de radicalisme qu’on est quand même arrivé à civiliser ou à enrayer, même s’il réapparaît un peu le jour où il y a une crise.
Et précisément, comment étiez-vous alors arrivé à civiliser un peu ces modes de relations entre euh… ?
Ben d’abord en les isolant, en les diminuant…
Vous parlez de syndicalistes ou de salariés ?
Je parle des syndicalistes qui étaient de cet ordre-là. Maintenant, il n’y en a plus. Mais avant, il y en avait. […] La CGT était le syndicat dominant, de tradition. Mais c’est un syndicat qui n’a pas cessé de perdre, de la vitesse, de l’audience, pour l’excellente raison que ses syndicalistes étaient des gens, j’allais dire mûrs, des gens de confiance, des gens… donc au niveau de l’usine, promouvables… promotables, je sais plus comment… comment on dit, promouvables. Et que l’on a fait passer souvent dans le deuxième collège, en tant qu’agents de maîtrise, qu’on avait par ailleurs du mal à recruter à l’extérieur de l’entreprise de recrutement. Donc, on avait besoin de ces gens avec du savoir-faire. Et donc ce syndicat CGT, maintenant, il est tombé euh, en avant-dernière position en termes d’audience. Il doit représenter, je sais pas, euh… 15 %, quelque chose comme ça.

Mais on est arrivé à normaliser nos relations à partir du moment où un des syndicalistes est parti. C’était un syndicaliste qui était, j’allais dire un cas psychologique, et qu’on avait, à l’occasion de propos euh… anormaux, tenté de licencier là aussi. Mais ça n’a pas marché, l’inspecteur du travail ne nous a pas suivis, etc. c’est pour ça qu’on a enterré l’affaire. Mais on a réussi à négocier son départ beaucoup plus tard. Il a eu un projet personnel, il nous en a parlé et on a négocié son départ. Faut dire qu’il avait perdu, déjà, de l’audience auprès d’un certain nombre de ses collègues extrémistes parce qu’il avait négocié… il avait fini par signer un accord sur l’individualisation des rémunérations, et ça, ces collègues extrémistes ne le lui avaient jamais pardonné.
C’est-à-dire ?
Ben, on arrive… on arrive à normaliser dans la mesure où… je vous indiquais qu’il y avait des grèves euh… à tort et à travers… auparavant, des menaces de grèves, je peux vous dire que… quand j’ai quitté C., il n’y avait plus eu de grève depuis l’année 2000… 2001, donc depuis cinq ans. Donc ça veut dire qu’on a dû arriver, quelque part, à normaliser. Et, ces syndicats n’étaient peut-être pas nécessairement d’accord avec cette évolution, mais on peut supposer que le rapport des forces n’était pas suffisant pour qu’ils aillent trop loin. Eh ouais, bon, honnêtement, je pense aussi que la professionnalisation du management, je crois que ça a aussi profondément fait évoluer les gens.

(...)

[O]n a demandé aux ingénieurs et à l’encadrement opérationnel d’être aussi des managers de leurs salariés. Et on les a accompagnés pour cela, pour changer les modes de relations. On les a incités par exemple à faire des réunions, à avoir des rencontres régulières avec les salariés. […] Ça permet, quand on a des problèmes, de les avoir maintenant en amont, donc d’avoir quand même un dialogue avec la personne, avant qu’éventuellement ce dialogue soit avec les représentants syndicaux. L’important pour nous c’est que l’encadrement discute avec les opérateurs pour désamorcer les problèmes qui peuvent l’être. Sinon, on se retrouve avec la guéguerre habituelle : quand le salarié a un problème, il vient en parler à son chef ou à nous, mais aussi à l’organisation syndicale. Et effectivement, l’organisation souhaite se valoriser en portant tout de suite le problème auprès de nous, dans les instances. C’est normal, c’est son jeu. Et tout de suite, ça risque d’envenimer la situation, etc. C’est pour ça que notre objectif, c’était que le salarié puisse discuter de ses problèmes mais avec la hiérarchie directe.

1B. Giraud, Derrière la vitrine du dialogue social : les techniques managériales de domestication des conflits du travail, in Agone n°50, janvier 2013. Le blogue Terrains de lutte reprend cet article disponible sur la toile <http://terrainsdeluttes.ouvaton.org/?p=2755> en français, en intégralité