Définition et enjeux

Construction et herméneutique d'une économie de la puissance humaine

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La liberté et l'aiguillon de la nécessité

Le projet philosophique, le dieu dans la tapisserie du système économique fondé sur l'argent en général et le capital en particulier, c'est l'abolition de la violence sociale de la naissance de l'ancien régime d'une part, et, d'autre part, c'est l'avènement d'un individu sans qualité6. Ce projet peut susciter une adhésion à condition d'incarner de manière crédible une certaine voie de libération humaine. L'émancipation des pesanteurs de l'ancien régime, la liberté d'êtres égaux en droit butte pourtant, nous l'avons dit, sur la violence de la propriété lucrative des moyens de production et sur la férocité implacable de l'aiguillon de la nécessité.

L'aiguillon de la nécessité entrave la liberté, c'est un concept contradictoire avec celui de liberté. Celui qui est guidé par l'aiguillon de la nécessité n'est pas libre et celui qui est libre n'est pas guidé par l'aiguillon de la nécessité. Pour le dire autrement, l'aiguillon de la nécessité nécessairement lié à la propriété lucrative, n'est d'application que dans la mesure où la liberté ne le sera pas et la liberté ne régnera que dans la mesure où les sujets sont délivré de l'aiguillon de la nécessité. Le raisonnement qui vise à justifier l'idéologie, la mythologie de la violence sociale capitaliste s'appelle un paradoxe puisqu'il lie deux éléments contradictoires dans une impossibilité logique. Si le capitalisme libère, il doit délivrer de l'aiguillon de la nécessité ; s'il utilise l'aiguillon de la nécessité, c'est qu'il ne libère pas.

On considérera ce raisonnement comme un paradoxe sauf à définir la liberté comme un concept compatible avec l'aiguillon de la nécessité. La liberté se réduit alors à un système d'échange de valeurs économiques et de biens et de services à prix mais n'implique rien en terme de volonté, de puissance, de devenir ou de temps humains. Prise dans ce sens, dans le sens de 'liberté de commerce entre égaux en droit' la liberté devient alors compatible avec l'aiguillon de la nécessité, avec la mise en esclavage des nécessiteux mais cette acception de la liberté devient un argument infiniment moins porteur – et l'utilisation de cet argument de la liberté dans le sens de « droit d'investir et de commercer » est à tout le moins captieuse.

Indépendamment des arguties autour des acceptions du concept abstrait de « liberté », le recours à un nominalisme strict n'empêche pas le doute quant à la justice et la justesse d'un asservissement qui brandit l'étendard de la liberté. Assurément, l'étendard galvaude le mot, fatigue les auditeurs des discours mais ne jugule en rien le sentiment très concret, très incarné, de vies encadrées, d'existence pré-déterminées, caractérisées par l'impuissance et le fatalisme.

Par ailleurs, c'est sur la base de ce sentiment confus d'insupportable déterminisme économique et social que la violence sociale est ressentie en tant que telle et apparaît pour ce qu'elle est (et ne cesse d'être naturalisée) : la domination violente de certaines catégories d'humains sur les autres, l'accaparement des ressources (humaines et naturelles) par certains au nom du « droit ». Quand la violence sociale est perçue comme un joug pénible, comme une contrainte violente, le projet historique de naturaliser cette violence sociale est condamné en tant que perspective politique fédératrice de désirs collectifs. Le politique ne retrouve ses lettres de noblesse, sa crédibilité en tant que force de proposition collective que dans la mesure où elle fait advenir la puissance et la singularité de l'existence humaine, ce qui implique a minima l'abolition de la propriété lucrative et la l'avènement de démocratie de l'économie, aussi bien de la production que de la consommation. Faute de ce projet minimal, le politique continuera à cultiver le sentiment de rejet, d'impuissance. Il s'attardera à bavarder sur des thèmes secondaires et l'extrême-droite continuera à polariser le politique par ses outrances sulfureuses.

De la même façon que l'agitation du cadre, son acédie, se substitue à son acte, à sa volonté, à son devenir, le fascisme mime le sens du politique par le muscle ou le leader sans y toucher – en ce sens, en dépit des dégâts infinis qu'il peut occasionner, il est condamné à l'échec en tant que projet politique de sens. Le sens ne peut être créé par l'identification à une nature commune, à des propriétés intrinsèques, il ne peut se déployer que dans l'acte, dans l'incarnation de la volonté – aussi bien individuelle que collective. Mais le fascisme ne propose pas d'acte, il norme les manières d'être en fonction d'une idée de société, de valeurs communes (obéissance, sacrifice, service, etc.). Nous avons pourtant vu le lien entre les tendances liberticides du totalitarisme social et la désincarnation des existences et l'émergence des individus-masse. Le système libéral, loin de favoriser la liberté, restreint au contraire les possibles, augmente le conformisme – dans le management, dans le fascisme ou dans l'orchestration des désirs par les médias de masse et, nous l'avons dit, par l'aiguillon de la nécessité.

À ce stade, la liberté n'est pas une propriété du capitalisme mais un totem. C'est la trace de l'interdit du père primitif tué, de la mort de la créativité intériorisée sous la forme de normes et d'obligations sociales, sous la forme de névrose.