Définition et enjeux

Construction et herméneutique d'une économie de la puissance humaine

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Le principe de réalité et le principe de plaisir


Dans l'histoire de la pensée, l'individu et la société ne se sont pas toujours aussi bien articulés que dans l’œuvre de Simondon dont nous avons évoqué les travaux ci-dessus. Chez Freud, le principe de plaisir est une pulsion (certes tournée vers l'autre) individuelle à laquelle s'oppose la nécessité de la loi de l'autre, la nécessité des contraintes liées à la présence de l'autre : le principe de réalité. Marcuse s'est opposé à cette manière de voir en liant le plaisir et la présence de l'autre, en réconciliant les deux principes, le principe de soi, de plaisir, et de l'autre, de réalité. La société peut devenir siège du plaisir, le social peut épanouir l'individuel.

Sans prendre parti dans ce débat, nous affirmons que la question de l'articulation entre l'individu et le social est au cœur des enjeux actuels. La crise du politique atteste la crise de l'articulation entre l'individu et la société. Comment cette articulation ne serait-elle pas devenue problématique quand le travail dans l'emploi fait violence aux desiderata de l'individu, quand la source même de singularisation, l'acte, est transformée pour moitié en production pénible, contre-intuitive et, pour moitié, en consommation passive ? Le travail est devenu pénible sous le joug de l'emploi – il faut obéir, se soumettre, accepter, il faut mettre en veilleuse sa créativité, ses besoins corporels ou intellectuels pour produire plus, plus vite – alors que, en soi, le travail est censé être source de transformation du monde et d'affirmation de soi : qu'il est censé réconcilier le principe de plaisir et le principe de réalité. La société se présente comme ce que le travail permet. Le travail accaparé par l'emploi est un dédommagement moralement obligatoire à la société, c'est une façon de payer son dû. En présentant les choses de cette façon, le principe de réalité est grossièrement opposé au principe de plaisir. On comprend alors pourquoi l'individualisme qui est un des arguments commerciaux les plus ressassés se retourne contre une société contraignante, ennemie de la liberté individuelle.

La crise de l'articulation entre liberté individuelle et société construit des enjeux fondamentaux. Avant des les étudier brièvement, nous devons mentionner la souffrance d'un être qui doit s'individuer dans l'autre et ne peut le faire parce que l'autre est présent comme ennemi de son désir propre. Le désir individuel transformé en ennemi de son environnement perd tout appui pour s'individuer et sombre dans un solipsisme déprimant dans une solitude sans nom. Pour être libre et désirant, l'individu a besoin d'un monde avec lequel interagir, pas d'un monde en marge duquel il se construira le spectacle d'une liberté factice. Faute de ce rapport à la société, la volonté, la puissance de l'individu se font velléitaires, elles deviennent impuissantes et font patienter la frustration qu'elles créent par des actes compulsifs limites. En ce sens, le discours de la liberté est ce qui tue le plus efficacement la liberté puisqu'il empêche l'interaction entre le moi et l'autre, il empêche l'individuation, la singularisation. Il impose l'ennui – plus ou moins capricieux selon les moyens.